La naissance miraculeuse
Voilà près de mille ans que les peuples de la Terre, de l'Océan et du Ciel cohabitaient dans le monde d'Edenya. Depuis la signature du Traité de Paix, les humains de Quatrial prenaient exemple sur les dryades de Troisiormes et suivaient scrupuleusement les enseignements de la déesse de la Terre, sous peine de subir son courroux.
Mais il était un dieu encore plus redouté : Nérée, le souverain de l'Océan. Contrairement aux Cités-États de Quatrial, dirigées par des chefs-druides humains, la monde sous-marin était bel et bien dirigé par un dieu. Nérée vivait depuis des temps immémoriaux et avait accumulé tant de richesses au fil des siècles qu'on le disait plus riche que tous les seigneurs de la Terre et du Ciel réunis. Passionné par l'élevage des monstres marins, il passait beaucoup de temps dans sa ménagerie, qui se composait des créatures les plus repoussantes et dangereuses du monde aquatique.
À l'approche des mille ans de la signature du Traité de Paix, Nérée était à la recherche d'une énième épouse sirène à exhiber. Or, ses accès de violence n'étaient un secret pour personne. Pour faire oublier ses débordements, le dieu se vantait souvent d'avoir jadis pardonné à un groupe d'humains repentis en les transformant en tritons et en sirènes. Quel roi miséricordieux ! À la vérité, il terrorisait son peuple avec son trident magique et ses lois autoritaires.
L'une des lois les plus cruelles concernait les couples sans enfants. Le dieu les bannissait de sa cour, les faisant passer pour des maudits. En réalité, si une famille n'était pas capable de lui fournir une épouse ou un serf, il préférait s'en débarrasser, voyant des complots partout. Au fil du temps, il avait échappé à plusieurs soulèvements.
C'est ainsi que, durant cet hiver, le triton Hippolyte et sa compagne sirène Téthys durent quitter leur foyer ainsi que leur emploi à la ménagerie royale. Après plusieurs années de mariage, la nature ne leur avait pas accordé le droit d'être parents et les courtisans ne s'étaient pas privés pour en parler au roi lors du dernier dîner mondain.
Le couple nagea longtemps, très longtemps, bravant les zones de chasse des redoutables léviathans1, affrontant les températures souvent glaciales des eaux sauvages. Il découvrit enfin la Mer Turquoise, au nord de Primalia. C'était un havre de paix niché au cœur d'une immense forêt d'estrellites, des arbres marins dont la sève constituait un puissant antiseptique. Son odeur éloignait même les léviathans. Diverses espèces de poissons et de crustacés peuplaient des bosquets d'anémone et des plaines rocheuses, de quoi ne jamais avoir faim.
Ce qui attira surtout l'attention du jeune couple fut le troupeau de kelpies qui paissait autour d'un corail géant.
– Vois, ma chère, comme ces chevaux marins sont robustes ! dit Hippolyte, expert en créatures aquatiques. Si nous les domestiquions, ils pourraient devenir des montures dignes du roi Nérée. Ils pourraient tirer son char lors de la parade du millénaire du Traité de paix, prévue dans vingt-sept ans.
– Et ce corail géant pourrait nous servir de demeure, rétorqua Téthys, pleine d'espoir. Le foyer idéal pour fonder une famille.
– Puisse la déesse de la Terre et de la fertilité entendre nos prières.
Un an plus tard, le couple donna miraculeusement naissance à leur première fille. L'année suivante, à la même date, naquit leur deuxième enfant et ainsi de suite jusqu'à compter sept jolies petites sirènes. Téthys y vit là une intervention magique et fit de la déesse de la Terre la marraine de ses filles.
Très attaché aux traditions machistes, Hippolyte regrettait de ne pas avoir eu de fils. Au moins, ses filles étaient en bonne santé et surtout très belles. Elles deviendraient des épouses parfaites, de quoi attirer l'attention des courtisans, voire peut-être du roi lui-même.
1Serpents de mer géants et monstrueux obéissant au dieu de l'Océan.
Mais il était un dieu encore plus redouté : Nérée, le souverain de l'Océan. Contrairement aux Cités-États de Quatrial, dirigées par des chefs-druides humains, la monde sous-marin était bel et bien dirigé par un dieu. Nérée vivait depuis des temps immémoriaux et avait accumulé tant de richesses au fil des siècles qu'on le disait plus riche que tous les seigneurs de la Terre et du Ciel réunis. Passionné par l'élevage des monstres marins, il passait beaucoup de temps dans sa ménagerie, qui se composait des créatures les plus repoussantes et dangereuses du monde aquatique.
À l'approche des mille ans de la signature du Traité de Paix, Nérée était à la recherche d'une énième épouse sirène à exhiber. Or, ses accès de violence n'étaient un secret pour personne. Pour faire oublier ses débordements, le dieu se vantait souvent d'avoir jadis pardonné à un groupe d'humains repentis en les transformant en tritons et en sirènes. Quel roi miséricordieux ! À la vérité, il terrorisait son peuple avec son trident magique et ses lois autoritaires.
L'une des lois les plus cruelles concernait les couples sans enfants. Le dieu les bannissait de sa cour, les faisant passer pour des maudits. En réalité, si une famille n'était pas capable de lui fournir une épouse ou un serf, il préférait s'en débarrasser, voyant des complots partout. Au fil du temps, il avait échappé à plusieurs soulèvements.
C'est ainsi que, durant cet hiver, le triton Hippolyte et sa compagne sirène Téthys durent quitter leur foyer ainsi que leur emploi à la ménagerie royale. Après plusieurs années de mariage, la nature ne leur avait pas accordé le droit d'être parents et les courtisans ne s'étaient pas privés pour en parler au roi lors du dernier dîner mondain.
Le couple nagea longtemps, très longtemps, bravant les zones de chasse des redoutables léviathans1, affrontant les températures souvent glaciales des eaux sauvages. Il découvrit enfin la Mer Turquoise, au nord de Primalia. C'était un havre de paix niché au cœur d'une immense forêt d'estrellites, des arbres marins dont la sève constituait un puissant antiseptique. Son odeur éloignait même les léviathans. Diverses espèces de poissons et de crustacés peuplaient des bosquets d'anémone et des plaines rocheuses, de quoi ne jamais avoir faim.
Ce qui attira surtout l'attention du jeune couple fut le troupeau de kelpies qui paissait autour d'un corail géant.
– Vois, ma chère, comme ces chevaux marins sont robustes ! dit Hippolyte, expert en créatures aquatiques. Si nous les domestiquions, ils pourraient devenir des montures dignes du roi Nérée. Ils pourraient tirer son char lors de la parade du millénaire du Traité de paix, prévue dans vingt-sept ans.
– Et ce corail géant pourrait nous servir de demeure, rétorqua Téthys, pleine d'espoir. Le foyer idéal pour fonder une famille.
– Puisse la déesse de la Terre et de la fertilité entendre nos prières.
Un an plus tard, le couple donna miraculeusement naissance à leur première fille. L'année suivante, à la même date, naquit leur deuxième enfant et ainsi de suite jusqu'à compter sept jolies petites sirènes. Téthys y vit là une intervention magique et fit de la déesse de la Terre la marraine de ses filles.
Très attaché aux traditions machistes, Hippolyte regrettait de ne pas avoir eu de fils. Au moins, ses filles étaient en bonne santé et surtout très belles. Elles deviendraient des épouses parfaites, de quoi attirer l'attention des courtisans, voire peut-être du roi lui-même.
1Serpents de mer géants et monstrueux obéissant au dieu de l'Océan.
La missive du dieu de l'Océan
Vingt années passèrent depuis la naissance de la cadette, Élinor. Contrairement à ses six sœurs, toutes mariées à des comtes depuis l'adolescence, la sirène intrépide et rebelle demeurait auprès de ses parents. Elle était très attachée aux kelpies, détestait les commérages de la cour et refusait de se soumettre aux conventions sociales. Elle n'avait même jamais assisté à aucun événement royal et n'avait pas rencontré Nérée.
Téthys avait convaincu Hippolyte de la laisser vivre avec eux le temps qu'elle retrouve la raison.
Ce soir-là, la jolie sirène dégustait son pâté de murène lorsque son père fit une annonce des plus inattendues :
– Téthys, Élinor, j'ai une excellente nouvelle, dit-il en brandissant un parchemalgue marqué du sceau royal. Le dieu Nérée nous a écrit. Il viendra visiter l'élevage dans deux jours. Le comte Saphir qui, je le rappelle, est l'un des nobles les plus influents du royaume, lui a vanté les mérites des montures que nous lui avons vendues l'année dernière. Il va sans dire que je compte sur votre présence à toutes les deux.
Élinor, qui abhorrait les mondanités, s'apprêtait à se dérober lorsque son père lui coupa l'algue sous la nageoire :
– Et ne songe pas à t'éclipser à dos de kelpie comme tu l'as fait lors de la venue du comte Saphir, dit-il en agitant sa pince de crabe farcie.
– Si je me tiens correctement, aurais-je enfin le droit de visiter la Terre des humains ? Il paraît que la végétation de Quatrial est magnifique en cette saison. C'est du moins ce que m'a rapporté un pêcheur.
– Un pêcheur ?! s'énerva Hippolyte. Élinor, tu es encore allée à la surface ! Tu sais pourtant que les monstres marins rôdent autour de la Mer Turquoise ! C'est dangereux de t'y promener seule.
– Et puis, une sirène ne peut pas quitter le monde sous-marin, tempéra Téthys d'une voix plus douce. Seule la magie te permettrait de marcher sur la Terre avec des jambes, comme le font les humains. Or, nous ne sommes pas une famille de sorciers.
Il vint alors à Élinor une idée des plus audacieuses.
– Et si je demandais au dieu de l'Océan de me transformer en humaine, au moins pour une journée ? Il paraît que son trident a d'immenses pouvoirs.
– Ne t'avise surtout pas de faire cela, malheureuse ! tonna Hippolyte, les yeux rouges de colère. Notre ascension sociale compte plus que tes rêveries ridicules.
– Je ne suis pas née pour cela, répondit Élinor en braquant ses yeux bleu foncé sur son père, un air de défi dans la voix. Rappelez-vous des paroles de ma marraine, la déesse de la Terre !
En effet, le jour des vingt ans d'Élinor, la divinité s'était présentée à la Mer Turquoise pour annoncer que la jeune sirène était promise à un grand destin. Hippolyte y avait vu l'opportunité de marier sa fille à un noble influent de la cour.
Élinor, elle, s'était persuadée que sa marraine parlait d'une vie d'aventures. Elle passait tout son temps libre à explorer les fonds marins à dos de kelpies, quand elle ne nageait pas vers la surface pour laisser la lumière du soleil réchauffer sa peau. Elle aimait discuter avec les pêcheurs qu'elle croisait, même si pour cela, elle devait traverser les terrains de chasse des léviathans.
– Tu obéiras sans discuter, jeune fille ! tempêta Hippolyte.
D'un geste de la main, le triton contraignit son épouse à garder le silence, ce qui mit fin au débat.
Élinor serra la mâchoire plutôt que de plaider une énième fois pour sa liberté. Elle ressentait une telle colère qu'elle craignait que ses mots ne dépassent sa pensée. Or, elle ne désirait pas blesser ses parents. Elle comprenait qu'ils appartenaient à une ancienne génération et qu'ils agissaient comme leurs parents avant eux. Mais tout de même...
Aussi préféra-t-elle quitter la table corallienne pour s'enfermer dans sa chambre. Elle pria sa marraine de lui envoyer un signe, n'importe quoi qui viendrait contrecarrer les projets que son père avait pour elle. La pauvre sirène attendit des heures en vain. Les deux prochains jours lui paraîtraient les plus longs de toute sa vie.
Téthys avait convaincu Hippolyte de la laisser vivre avec eux le temps qu'elle retrouve la raison.
Ce soir-là, la jolie sirène dégustait son pâté de murène lorsque son père fit une annonce des plus inattendues :
– Téthys, Élinor, j'ai une excellente nouvelle, dit-il en brandissant un parchemalgue marqué du sceau royal. Le dieu Nérée nous a écrit. Il viendra visiter l'élevage dans deux jours. Le comte Saphir qui, je le rappelle, est l'un des nobles les plus influents du royaume, lui a vanté les mérites des montures que nous lui avons vendues l'année dernière. Il va sans dire que je compte sur votre présence à toutes les deux.
Élinor, qui abhorrait les mondanités, s'apprêtait à se dérober lorsque son père lui coupa l'algue sous la nageoire :
– Et ne songe pas à t'éclipser à dos de kelpie comme tu l'as fait lors de la venue du comte Saphir, dit-il en agitant sa pince de crabe farcie.
– Si je me tiens correctement, aurais-je enfin le droit de visiter la Terre des humains ? Il paraît que la végétation de Quatrial est magnifique en cette saison. C'est du moins ce que m'a rapporté un pêcheur.
– Un pêcheur ?! s'énerva Hippolyte. Élinor, tu es encore allée à la surface ! Tu sais pourtant que les monstres marins rôdent autour de la Mer Turquoise ! C'est dangereux de t'y promener seule.
– Et puis, une sirène ne peut pas quitter le monde sous-marin, tempéra Téthys d'une voix plus douce. Seule la magie te permettrait de marcher sur la Terre avec des jambes, comme le font les humains. Or, nous ne sommes pas une famille de sorciers.
Il vint alors à Élinor une idée des plus audacieuses.
– Et si je demandais au dieu de l'Océan de me transformer en humaine, au moins pour une journée ? Il paraît que son trident a d'immenses pouvoirs.
– Ne t'avise surtout pas de faire cela, malheureuse ! tonna Hippolyte, les yeux rouges de colère. Notre ascension sociale compte plus que tes rêveries ridicules.
– Je ne suis pas née pour cela, répondit Élinor en braquant ses yeux bleu foncé sur son père, un air de défi dans la voix. Rappelez-vous des paroles de ma marraine, la déesse de la Terre !
En effet, le jour des vingt ans d'Élinor, la divinité s'était présentée à la Mer Turquoise pour annoncer que la jeune sirène était promise à un grand destin. Hippolyte y avait vu l'opportunité de marier sa fille à un noble influent de la cour.
Élinor, elle, s'était persuadée que sa marraine parlait d'une vie d'aventures. Elle passait tout son temps libre à explorer les fonds marins à dos de kelpies, quand elle ne nageait pas vers la surface pour laisser la lumière du soleil réchauffer sa peau. Elle aimait discuter avec les pêcheurs qu'elle croisait, même si pour cela, elle devait traverser les terrains de chasse des léviathans.
– Tu obéiras sans discuter, jeune fille ! tempêta Hippolyte.
D'un geste de la main, le triton contraignit son épouse à garder le silence, ce qui mit fin au débat.
Élinor serra la mâchoire plutôt que de plaider une énième fois pour sa liberté. Elle ressentait une telle colère qu'elle craignait que ses mots ne dépassent sa pensée. Or, elle ne désirait pas blesser ses parents. Elle comprenait qu'ils appartenaient à une ancienne génération et qu'ils agissaient comme leurs parents avant eux. Mais tout de même...
Aussi préféra-t-elle quitter la table corallienne pour s'enfermer dans sa chambre. Elle pria sa marraine de lui envoyer un signe, n'importe quoi qui viendrait contrecarrer les projets que son père avait pour elle. La pauvre sirène attendit des heures en vain. Les deux prochains jours lui paraîtraient les plus longs de toute sa vie.
La visite du dieu de l'Océan
Nérée arriva comme convenu à la Mer Turquoise, à bord d'une grande coquille dorée servant de char, tirée par deux requins à l'air féroce. Élinor le rencontrait pour la première fois et fut surprise par son apparence. Les sculptures le représentaient toujours sous les traits d'un triton. Or, Nérée ne possédait pas de queue, mais des jambes ! Seules ses branchies et sa peau bleue permettaient de dire qu'il n'était pas humain. Mais alors, à quelle race appartenait-il ?
– Cesse de le dévisager ainsi, réprimanda sa mère dans un murmure, pendant qu'Hippolyte accueillait le roi en faisant de grands gestes nerveux.
– Mais... il a des jambes ?
– Oui, il appartient à une espèce dont il est le dernier représentant. Il n'aime pas qu'on le lui rappelle. Et maintenant, tais-toi. Il arrive dans notre direction.
Une fois les présentations faites, Nérée ne cessa d'observer Élinor d'un œil lubrique, et ce, durant toute la visite du domaine. Hippolyte crut mourir de joie lorsque le roi lui dit :
– Votre élevage est vraiment très impressionnant. Peut-être devrais-je élever la Mer Turquoise en comté, comme je l'ai fait pour le domaine de la famille Saphir ?
– Oh, monseigneur, comparer mon humble élevage de kelpies au domaine qui produit les bijoux les plus somptueux du royaume est le plus beau compliment que vous pouviez me faire. Ce serait vraiment très généreux de votre part d'élever ce territoire en comté, déclara cupidement Hippolyte.
– J'attends évidemment quelque chose d'aussi précieux en retour.
Le sang de Téthys se figea lorsque le dieu pointa son trident ensorcelé vers Élinor.
– Accordez-moi la main de cette ravissante créature et je vous couvrirai de richesses.
Hippolyte pinça le bras de l'intéressée, de peur que son franc-parler ne vienne gâcher le plus beau moment de sa vie. Or, la jeune sirène était bien trop tétanisée pour prononcer la moindre parole. Lorsqu'elle comprit que sa marraine ne répondrait pas à ses prières, comme si elle craignait Nérée, Élinor se contenta d'incliner la tête et de faire la révérence.
– Ce serait un honneur de vous offrir la main de ma fille, monseigneur, dit Hippolyte.
– Fort bien ! Le mariage aura lieu le jour du millième anniversaire du Traité de Paix !
Une fois le dieu reparti, Téthys passa le reste de la journée à tenter de faire revenir Hippolyte sur sa décision.
– Je ne céderai pas ! Élinor épousera le roi et nous deviendrons suffisamment riches pour employer des serviteurs qui s'occuperont du domaine à notre place. Nous aurons ainsi tout le loisir de nous rendre à la cour, là où est notre véritable place !
Téthys n'en croyait pas un mot. Elle comprit qu'elle ne pourrait pas accorder à sa fille la vie d'aventures dont elle rêvait. Résignée à lui enseigner les us et coutumes de la cour, elle se dirigea vers la chambre d'Élinor. Or, la jeune sirène avait disparu.
– Cesse de le dévisager ainsi, réprimanda sa mère dans un murmure, pendant qu'Hippolyte accueillait le roi en faisant de grands gestes nerveux.
– Mais... il a des jambes ?
– Oui, il appartient à une espèce dont il est le dernier représentant. Il n'aime pas qu'on le lui rappelle. Et maintenant, tais-toi. Il arrive dans notre direction.
Une fois les présentations faites, Nérée ne cessa d'observer Élinor d'un œil lubrique, et ce, durant toute la visite du domaine. Hippolyte crut mourir de joie lorsque le roi lui dit :
– Votre élevage est vraiment très impressionnant. Peut-être devrais-je élever la Mer Turquoise en comté, comme je l'ai fait pour le domaine de la famille Saphir ?
– Oh, monseigneur, comparer mon humble élevage de kelpies au domaine qui produit les bijoux les plus somptueux du royaume est le plus beau compliment que vous pouviez me faire. Ce serait vraiment très généreux de votre part d'élever ce territoire en comté, déclara cupidement Hippolyte.
– J'attends évidemment quelque chose d'aussi précieux en retour.
Le sang de Téthys se figea lorsque le dieu pointa son trident ensorcelé vers Élinor.
– Accordez-moi la main de cette ravissante créature et je vous couvrirai de richesses.
Hippolyte pinça le bras de l'intéressée, de peur que son franc-parler ne vienne gâcher le plus beau moment de sa vie. Or, la jeune sirène était bien trop tétanisée pour prononcer la moindre parole. Lorsqu'elle comprit que sa marraine ne répondrait pas à ses prières, comme si elle craignait Nérée, Élinor se contenta d'incliner la tête et de faire la révérence.
– Ce serait un honneur de vous offrir la main de ma fille, monseigneur, dit Hippolyte.
– Fort bien ! Le mariage aura lieu le jour du millième anniversaire du Traité de Paix !
Une fois le dieu reparti, Téthys passa le reste de la journée à tenter de faire revenir Hippolyte sur sa décision.
– Je ne céderai pas ! Élinor épousera le roi et nous deviendrons suffisamment riches pour employer des serviteurs qui s'occuperont du domaine à notre place. Nous aurons ainsi tout le loisir de nous rendre à la cour, là où est notre véritable place !
Téthys n'en croyait pas un mot. Elle comprit qu'elle ne pourrait pas accorder à sa fille la vie d'aventures dont elle rêvait. Résignée à lui enseigner les us et coutumes de la cour, elle se dirigea vers la chambre d'Élinor. Or, la jeune sirène avait disparu.
Le léviathan
Élinor nagea aussi vite que ses forces le lui permirent. Elle n'avait pas voulu partir à dos de kelpie de peur que celui-ci ne se blesse durant sa fuite. De plus, si aucune bête n'avait disparue, Hippolyte penserait qu'elle était simplement partie se dégourdir les nageoires, stressant pour le mariage à venir.
Élinor devait au contraire s'éloigner de son foyer où on l'avait traitée comme une marchandise. La déception qu'elle éprouvait à l'égard de son père était aussi profonde que le plus obscur des gouffres abyssaux, les prisons sous-marines. Jamais elle ne lui pardonnerait une telle trahison.
Élinor ne comptait pas se venger, simplement fuir l'Océan. Si sa nature de sirène l'empêchait de fouler la Terre, elle devait devenir humaine. Mais comment allait-elle s'y prendre ? Elle ne connaissait pas d'autre sorcier que le roi et il était hors de question de s'en approcher de nouveau.
À trop réfléchir, Élinor en oublia d'être prudente. Elle avait quitté la Mer Turquoise depuis plusieurs heures, et longeait à présent l'île de Primalia par l'ouest. Elle nageaient dans des eaux calmes et limpides, dénuées de végétation suffisamment dense pour la cacher des prédateurs.
Et justement, là-bas, à quelques brasses d'elle, rôdait un léviathan. Par chance, il ne l'avait pas encore remarquée. Élinor se colla à la paroi rocheuse de l'île pour tenter de se faire discrète. Elle s'entailla légèrement le bras en le frottant contre la falaise effilée. Un mince filet écarlate se répandit dans l'eau. Il n'en fallut pas davantage pour attirer l'attention du léviathan, extrêmement sensible à l'odeur du sang. Si Élinor parvenait à gagner le bosquet d'estrellites un peu plus loin, elle aurait la vie sauve.
Elle inspira un grand coup avant de fondre vers le bosquet à une vitesse qu'elle n'aurait jamais pu atteindre si sa vie n'avait pas été menacée. La corpulence imposante du monstre l'empêcha de se retourner assez rapidement pour croquer la queue de la sirène. Au lieu de cela, il mordit dans une branche d'estrellite. De la sève onctueuse s'en échappa, faisant éternuer le monstre à plusieurs reprises. Élinor avait la vie sauve. Pour l'instant.
Élinor devait au contraire s'éloigner de son foyer où on l'avait traitée comme une marchandise. La déception qu'elle éprouvait à l'égard de son père était aussi profonde que le plus obscur des gouffres abyssaux, les prisons sous-marines. Jamais elle ne lui pardonnerait une telle trahison.
Élinor ne comptait pas se venger, simplement fuir l'Océan. Si sa nature de sirène l'empêchait de fouler la Terre, elle devait devenir humaine. Mais comment allait-elle s'y prendre ? Elle ne connaissait pas d'autre sorcier que le roi et il était hors de question de s'en approcher de nouveau.
À trop réfléchir, Élinor en oublia d'être prudente. Elle avait quitté la Mer Turquoise depuis plusieurs heures, et longeait à présent l'île de Primalia par l'ouest. Elle nageaient dans des eaux calmes et limpides, dénuées de végétation suffisamment dense pour la cacher des prédateurs.
Et justement, là-bas, à quelques brasses d'elle, rôdait un léviathan. Par chance, il ne l'avait pas encore remarquée. Élinor se colla à la paroi rocheuse de l'île pour tenter de se faire discrète. Elle s'entailla légèrement le bras en le frottant contre la falaise effilée. Un mince filet écarlate se répandit dans l'eau. Il n'en fallut pas davantage pour attirer l'attention du léviathan, extrêmement sensible à l'odeur du sang. Si Élinor parvenait à gagner le bosquet d'estrellites un peu plus loin, elle aurait la vie sauve.
Elle inspira un grand coup avant de fondre vers le bosquet à une vitesse qu'elle n'aurait jamais pu atteindre si sa vie n'avait pas été menacée. La corpulence imposante du monstre l'empêcha de se retourner assez rapidement pour croquer la queue de la sirène. Au lieu de cela, il mordit dans une branche d'estrellite. De la sève onctueuse s'en échappa, faisant éternuer le monstre à plusieurs reprises. Élinor avait la vie sauve. Pour l'instant.
La néréide
Après avoir échappé au léviathan, Élinor recueillit de la sève d'estrellite pour désinfecter sa plaie.
– Tu as eu de la chance de t'en sortir, lui dit une voix éraillée sortie de derrière un arbre.
Il s'agissait d'une vieille à la peau bleue et nageant avec des jambes, comme le roi Nérée.
– Qu'êtes-vous, au juste ?
– Voilà une façon bien cavalière de s'adresser à une inconnue.
– Je suis désolée ! se reprit la sirène, confuse. Je m'appelle Élinor et je n'avais jamais rencontré de personne comme vous, à part le roi Nérée.
– Je comprends... Je porte le nom d'Amphitrite. Je suis une néréide, ou devrais-je dire, un vestige d'un passé oublié.
Élinor n'avait jamais entendu parler des néréides. Les seules créatures marines ressemblant un temps soit peu à des humains étaient les sirènes et les tritons. Tout ce mystère lui donnait envie d'en savoir davantage. Elle jeta un œil à travers les arbres et distingua la silhouette menaçante du léviathan.
– Il n'est pas prêt de lâcher l'affaire, soupira la vieille néréide.
– En attendant qu'il parte, peut-être pourriez-vous me raconter votre histoire, proposa la sirène.
– Tu es bien curieuse, petite. Enfin, si tu y tiens... répondit Amphitrite en s'asseyant au pied d'un arbre, faisant traîner sa parure en coquillages. C'était il y a très, très longtemps, bien avant la signature du Traité de Paix. À cette époque, l'Océan dominait le monde et n'était pas aussi dangereux que de nos jours. Les îles n'avaient pas encore émergé et le monde des humains n'existait pas. Il y avait bien le Ciel, mais sa déesse passait son temps à façonner des nuages et à se repoudrer le nez.
« Nous, les néréides, vivions en harmonie avec les néréens, nos homologues masculins. Nous devons le nom de notre race à Nérée, le premier roi de l'Océan, qui est aussi un puissant sorcier. On raconte qu'il est né d'une larme de la déesse du Ciel. À mon avis, elle avait dû se casser un ongle, ce jour-là. Nérée avait des projets d'asservissement du peuple aquatique, ce qui déplaisait à son frère Égée, né dans une praire1 géante.
« Un jour, Égée, qui n'était pas versé dans la sorcellerie et se sentait incapable d'affronter son frère, vint quérir mon aide. Vois-tu, j'étais une très grande sorcière et souvent de bon conseils. Je lui forgeai un trident magique ne pouvant être manié que par un cœur sage et pur. Grâce à l'artefact, Égée détrôna Nérée sans le blesser et l'emprisonna dans un gouffre abyssal, là on l'on enfermait les montres marins. Les barreaux de sa prison étaient suffisamment espacés pour lui faire passer de la nourriture.
« Égée revint me voir le lendemain pour à nouveau me demander conseil. Il voulait s'assurer de la bonne santé de son frère mais avait désormais trop de choses à faire pour se rendre régulièrement au gouffre. Je lui recommandai Calypso, ma plus fidèle apprentie.
« Au début, elle rechignait à accomplir cette tâche qu'elle jugeait ingrate. Mais à force de rendre visite à Nérée et de discuter avec lui, elle finit par l'apprécier. Au fil du temps, je la voyais s'absenter presque tous les jours. Hélas, je ne m'en inquiétai que trop tard.
« Un jour, grâce à ses paroles pernicieuse, Nérée persuada Calypso de lui donner le trident magique. À la nuit tombée, lorsque tout le royaume dormait paisiblement et que la dernière florasol2 du palais s'éteignit, mon apprentie entra dans la chambre du roi. Il n'y avait aucun garde car Égée avait une pleine confiance en son peuple. Calypso avait réussi à s'approcher suffisamment près du trident pour le prendre mais elle échoua. Comme je l'avais voulu, seule une personne au cœur pur pouvait le manipuler. Or, les intentions de ma disciple étaient loin d'être louables.
« Calypso recourut alors à une ancienne magie qui changeait la nature des êtres vivants. Elle se joua des lois de la vie et de la mort. Elle renonça à son corps de néréide et aux sentiments qu'elle éprouvait pour fiancé, et se transforma en une sorcière immortelle, plus puissante que je ne le serai jamais. Grâce à ses nouveaux pouvoirs, elle défit mon sortilège de sécurité et put s'emparer aisément du trident.
« Comme convenu, elle l'offrit au fourbe Nérée, qui lui promit de la récompenser plus tard. Il combina ses pouvoirs de sorcier avec ceux du trident et devint à son tour immortel, sans pour autant renoncer à son corps ou à ses sentiments (même si je doute que quelqu'un comme lui puisse aimer quelqu'un d'autre que lui-même). Il détruisit en suite le sceau magique qui le retenait prisonnier, envoûta les monstres marins et en fit son armée. Le jour se levait à peine lorsqu'il planta le trident dans le cœur de son frère encore endormi.
« Nérée récompensa ensuite Calypso en lui cédant une partie de son territoire. La culpabilité la rongeait tellement qu'elle préféra isoler son domaine du reste de l'Océan pour ne pas avoir à contempler les horreurs qui allaient suivre. Ainsi s'élevèrent quatre îles, donnant naissance au monde de la Terre. Calypso y règne encore en tant que déesse.
Élinor ne pouvait y croire. Sa marraine avait participé à un régicide ! Alors que le léviathan était parti depuis un moment, la jeune sirène crut bon de demander :
– Est-ce à dire que la magie permettant de changer de forme est interdite ? Moi qui voulais devenir humaine...
– Pas interdite, mais très ancienne et puissante. Certains parlent de magie divine, mais je peux t'assurer que les véritables dieux ont abandonné ce monde bien avant ma naissance. Aujourd’hui, ceux qui se font appeler dieux n'en ont que le titre. Ce sont en réalité des sorciers immortels. Quant à ton vœu de devenir humaine, cela est possible, encore faut-il avoir la magie de son côté.
– Pardonnez mon impertinence, Amphitrite, mais pourquoi ne pas avoir utilisé votre magie pour remettre le trident comme il l'était auparavant ?
– J'ai essayé, figure-toi ! s'emporta la néréide. Mais Nérée utilisa la magie du trident pour brider mes pouvoirs. Ce que le trident fait, seul le trident peut le défaire. Je l'ai conçu ainsi. Et au lieu de me tuer, Nérée m'accorda l'immortalité pour que je puisse assister, impuissante, au déclin du royaume. Il tua tous ceux tentèrent de s'opposer à lui. Les rares rescapés fuirent vers d'autres planètes grâce à l'aide de Calypso, qui devait culpabiliser. Pour ma part, la malédiction que m'a lancée Nérée m'enchaîne à Edenya.
– C'est affreux... Il faut à tout prix en parler à mon peuple, répandre la vérité !
– Allons, qui te croirait ? Tout cela s'est passé il y a bien longtemps et plus personne ne sait que les néréides ont existé.
Élinor baissa les yeux, l'air abattu. Elle se sentait tellement impuissante face à autant d'injustices.
– Changeons de sujet. Et toi, petite sirène, que faisais-tu là ?
– J'échappais au mariage imposé par mon père. Je dois épouser Nérée.
– Par Poséidon ! s'exclama Amphitrite en invoquant le nom de l'ancien dieu de l'Océan. Notre rencontre n'est pas le fruit du hasard. Je sens que tu es promise à de grandes choses.
Les mots de la déesse de la Terre résonnèrent dans son esprit.
– C'est aussi ce que m'a dit ma marraine, glissa Élinor sans éluder.
– De telles paroles ne sont jamais prononcées à la légère, crois-moi. Je te propose un marché...
Pactiser avec une sorcière inconnue était bien la dernière chose qui enchantait Élinor.
1La praire est un coquillage.
2Une fleur qui s'illumine lorsque le soleil est levé.
– Tu as eu de la chance de t'en sortir, lui dit une voix éraillée sortie de derrière un arbre.
Il s'agissait d'une vieille à la peau bleue et nageant avec des jambes, comme le roi Nérée.
– Qu'êtes-vous, au juste ?
– Voilà une façon bien cavalière de s'adresser à une inconnue.
– Je suis désolée ! se reprit la sirène, confuse. Je m'appelle Élinor et je n'avais jamais rencontré de personne comme vous, à part le roi Nérée.
– Je comprends... Je porte le nom d'Amphitrite. Je suis une néréide, ou devrais-je dire, un vestige d'un passé oublié.
Élinor n'avait jamais entendu parler des néréides. Les seules créatures marines ressemblant un temps soit peu à des humains étaient les sirènes et les tritons. Tout ce mystère lui donnait envie d'en savoir davantage. Elle jeta un œil à travers les arbres et distingua la silhouette menaçante du léviathan.
– Il n'est pas prêt de lâcher l'affaire, soupira la vieille néréide.
– En attendant qu'il parte, peut-être pourriez-vous me raconter votre histoire, proposa la sirène.
– Tu es bien curieuse, petite. Enfin, si tu y tiens... répondit Amphitrite en s'asseyant au pied d'un arbre, faisant traîner sa parure en coquillages. C'était il y a très, très longtemps, bien avant la signature du Traité de Paix. À cette époque, l'Océan dominait le monde et n'était pas aussi dangereux que de nos jours. Les îles n'avaient pas encore émergé et le monde des humains n'existait pas. Il y avait bien le Ciel, mais sa déesse passait son temps à façonner des nuages et à se repoudrer le nez.
« Nous, les néréides, vivions en harmonie avec les néréens, nos homologues masculins. Nous devons le nom de notre race à Nérée, le premier roi de l'Océan, qui est aussi un puissant sorcier. On raconte qu'il est né d'une larme de la déesse du Ciel. À mon avis, elle avait dû se casser un ongle, ce jour-là. Nérée avait des projets d'asservissement du peuple aquatique, ce qui déplaisait à son frère Égée, né dans une praire1 géante.
« Un jour, Égée, qui n'était pas versé dans la sorcellerie et se sentait incapable d'affronter son frère, vint quérir mon aide. Vois-tu, j'étais une très grande sorcière et souvent de bon conseils. Je lui forgeai un trident magique ne pouvant être manié que par un cœur sage et pur. Grâce à l'artefact, Égée détrôna Nérée sans le blesser et l'emprisonna dans un gouffre abyssal, là on l'on enfermait les montres marins. Les barreaux de sa prison étaient suffisamment espacés pour lui faire passer de la nourriture.
« Égée revint me voir le lendemain pour à nouveau me demander conseil. Il voulait s'assurer de la bonne santé de son frère mais avait désormais trop de choses à faire pour se rendre régulièrement au gouffre. Je lui recommandai Calypso, ma plus fidèle apprentie.
« Au début, elle rechignait à accomplir cette tâche qu'elle jugeait ingrate. Mais à force de rendre visite à Nérée et de discuter avec lui, elle finit par l'apprécier. Au fil du temps, je la voyais s'absenter presque tous les jours. Hélas, je ne m'en inquiétai que trop tard.
« Un jour, grâce à ses paroles pernicieuse, Nérée persuada Calypso de lui donner le trident magique. À la nuit tombée, lorsque tout le royaume dormait paisiblement et que la dernière florasol2 du palais s'éteignit, mon apprentie entra dans la chambre du roi. Il n'y avait aucun garde car Égée avait une pleine confiance en son peuple. Calypso avait réussi à s'approcher suffisamment près du trident pour le prendre mais elle échoua. Comme je l'avais voulu, seule une personne au cœur pur pouvait le manipuler. Or, les intentions de ma disciple étaient loin d'être louables.
« Calypso recourut alors à une ancienne magie qui changeait la nature des êtres vivants. Elle se joua des lois de la vie et de la mort. Elle renonça à son corps de néréide et aux sentiments qu'elle éprouvait pour fiancé, et se transforma en une sorcière immortelle, plus puissante que je ne le serai jamais. Grâce à ses nouveaux pouvoirs, elle défit mon sortilège de sécurité et put s'emparer aisément du trident.
« Comme convenu, elle l'offrit au fourbe Nérée, qui lui promit de la récompenser plus tard. Il combina ses pouvoirs de sorcier avec ceux du trident et devint à son tour immortel, sans pour autant renoncer à son corps ou à ses sentiments (même si je doute que quelqu'un comme lui puisse aimer quelqu'un d'autre que lui-même). Il détruisit en suite le sceau magique qui le retenait prisonnier, envoûta les monstres marins et en fit son armée. Le jour se levait à peine lorsqu'il planta le trident dans le cœur de son frère encore endormi.
« Nérée récompensa ensuite Calypso en lui cédant une partie de son territoire. La culpabilité la rongeait tellement qu'elle préféra isoler son domaine du reste de l'Océan pour ne pas avoir à contempler les horreurs qui allaient suivre. Ainsi s'élevèrent quatre îles, donnant naissance au monde de la Terre. Calypso y règne encore en tant que déesse.
Élinor ne pouvait y croire. Sa marraine avait participé à un régicide ! Alors que le léviathan était parti depuis un moment, la jeune sirène crut bon de demander :
– Est-ce à dire que la magie permettant de changer de forme est interdite ? Moi qui voulais devenir humaine...
– Pas interdite, mais très ancienne et puissante. Certains parlent de magie divine, mais je peux t'assurer que les véritables dieux ont abandonné ce monde bien avant ma naissance. Aujourd’hui, ceux qui se font appeler dieux n'en ont que le titre. Ce sont en réalité des sorciers immortels. Quant à ton vœu de devenir humaine, cela est possible, encore faut-il avoir la magie de son côté.
– Pardonnez mon impertinence, Amphitrite, mais pourquoi ne pas avoir utilisé votre magie pour remettre le trident comme il l'était auparavant ?
– J'ai essayé, figure-toi ! s'emporta la néréide. Mais Nérée utilisa la magie du trident pour brider mes pouvoirs. Ce que le trident fait, seul le trident peut le défaire. Je l'ai conçu ainsi. Et au lieu de me tuer, Nérée m'accorda l'immortalité pour que je puisse assister, impuissante, au déclin du royaume. Il tua tous ceux tentèrent de s'opposer à lui. Les rares rescapés fuirent vers d'autres planètes grâce à l'aide de Calypso, qui devait culpabiliser. Pour ma part, la malédiction que m'a lancée Nérée m'enchaîne à Edenya.
– C'est affreux... Il faut à tout prix en parler à mon peuple, répandre la vérité !
– Allons, qui te croirait ? Tout cela s'est passé il y a bien longtemps et plus personne ne sait que les néréides ont existé.
Élinor baissa les yeux, l'air abattu. Elle se sentait tellement impuissante face à autant d'injustices.
– Changeons de sujet. Et toi, petite sirène, que faisais-tu là ?
– J'échappais au mariage imposé par mon père. Je dois épouser Nérée.
– Par Poséidon ! s'exclama Amphitrite en invoquant le nom de l'ancien dieu de l'Océan. Notre rencontre n'est pas le fruit du hasard. Je sens que tu es promise à de grandes choses.
Les mots de la déesse de la Terre résonnèrent dans son esprit.
– C'est aussi ce que m'a dit ma marraine, glissa Élinor sans éluder.
– De telles paroles ne sont jamais prononcées à la légère, crois-moi. Je te propose un marché...
Pactiser avec une sorcière inconnue était bien la dernière chose qui enchantait Élinor.
1La praire est un coquillage.
2Une fleur qui s'illumine lorsque le soleil est levé.
Le mariage
Élinor vivait au palais de Nérée depuis plusieurs semaines. Courtisans et domestiques la traitaient avec déférence, craignant de contrarier le roi. À son arrivée, elle avait exigé de choisir la personne qui l'habillerait le jour des noces, pour plus d'intimité.
– Je ne peux rien te refuser, ma belle, avait répondu Nérée d'une voix mielleuse, rendant la sirène nauséeuse. Tu devras en revanche porter une robe traditionnelle qui te couvrira le corps et le visage, comme mes autres épouses avant toi.
Élinor avait accepté sans broncher. Depuis, elle avait pris goût à cette vie oisive aux côtés d'un néréen qui ne se séparait jamais de son trident. La sirène tremblait toujours lorsqu'elle se trouvait près de l'arme, ce qui faisait rire le souverain.
– Tu as peur ? C'est bien... disait-il, lui qui ne régnait que par la terreur.
Comme l'avait désiré Nérée, le jour des noces correspondait également aux mille ans de la signature du Traité de Paix. De grandes festivités étaient organisées, le prétexte idéal pour exposer sa magnificence à tout Edenya. Aucun détail ne devait être négligé, du nombre de gardes déployés pour assurer sa sécurité durant la parade à travers les différents royaumes, jusqu'à la couleur des coquillages qui orneraient sa barbe. Seul le choix de l'habilleuse ne lui revint pas.
Et justement, lorsqu'une vieille mendiante vêtue d'un manteau de pétoncles se présenta au palais en disant être l'habilleuse choisie par la future reine, les gardes crurent d'abord à une farce. Mais lorsqu'elle prononça le mot de passe qu'Élinor leur avait révélé pour éviter tout malentendu, « limace de mer », ils la laissèrent entrer, le visage rouge de honte. C'est ainsi que la mendiante put rejoindre les appartements de la sirène.
– Il est déjà si tard ? dit Élinor en la voyant entrer dans sa chambre.
– Bonjour, madame, fit humblement la vieille. Vous m'avez mandée, me voici.
– Je désire être seule avec mon habilleuse, déclara Élinor d'un ton péremptoire.
– Comme il vous plaira, madame, lui répondirent ses suivantes à l'unisson, en quittant la chambre à reculons.
On ne revit la mariée qu'à la cérémonie, à l'intérieur du temple d'Aphrodite, l'ancienne déesse de l'amour. Des florasols éclairaient les colonnes en rotonde tandis que des bouquets d'anémone décoraient les marches menant à l'autel.
Élinor était drapée dans sa longue robe qui dissimulait son corps et son visage. Hippolyte clamait à qui voulait l'entendre que c'était bien dommage de cacher un si joli minois. Ses six autres filles, qui avaient également porté une telle robe pour leur propre mariage, se vexèrent de n'avoir pas eu droit à un tel compliment.
– Vous, vous êtes mariées à des comtes. Votre sœur, elle, épouse le roi, ajouta Hippolyte d'un ton sec.
– Et pourtant, ce n'était pas gagné, confia l'aînée à l'oreille de son mari rieur.
Non sans un retard remarqué, Nérée arriva au temple à bord d'un char rutilant tiré par de superbes kelpies. Il vit Élinor faire un mouvement de tête contrarié. Il était entré avec son trident. Or, la tradition interdisait la présence d'armes près de l'autel.
– Bon, ce sont les milles ans du Traité de Paix, je veux bien consentir à me séparer quelques instants de mon précieux trident, déclara Nérée qui devait observer un minimum les conventions sociales.
À peine avait-il tendu le bras au garde à qui il avait confié le trident lors de ses mariages précédents, qu'un autre garde avait déjà anticipé et se tenait à côté de lui. Avec son casque trop grand pour sa tête et qui masquait son visage, ce devait être une jeune recrue voulant faire du zèle.
– Tiens, soldat, garde-moi ceci le temps que j'échange mes vœux avec cette ravissante créature.
Le jeune garde fit le salut militaire avant de recueillir le trident avec précaution. Il ne fallait pas activer maladroitement sa magie, au risque de blesser quelqu'un. Le soldat à qui il avait volé la vedette le dévisageait d'un air mauvais.
La prêtresse n'était autre que Téthys elle-même. Avant de rencontrer son époux, elle officiait au temple de l'amour. Elle avait d'ailleurs marié ses six autres filles.
Lorsque Élinor était rentrée de sa fugue, elles avaient longuement discuté. Téthys lui avait notamment expliqué que la vie n'était pas toujours simple, mais qu'en s'accommodant de certaines contraintes, elle finirait par être heureuse. Elle était soulagée de constater que sa cadette devenait enfin une adulte responsable.
Une cérémonie magique
Lorsque la prêtresse commença son discours, le jeune garde fondit au-dessus de la foule, le trident en joue. Nérée n'eut pas le temps d'incanter un sort qu'Élinor s'interposa entre lui et l'assaillant. Décontenancé par un tel sens du sacrifice, le roi relâcha sa vigilance et ne comprit que trop tard son erreur. Le garde s'immobilisa et tendit le trident à la mariée, qui prononça d'une voix forte et convaincue :
– Ce que le trident fait, seul le trident peut le défaire ! Que les cœurs impurs soient paralysés !
Une voix forte, convaincue et éraillée. Une voix bien différente de celle d'Élinor. Le trident brilla de mille éclats avant de répandre sa lumière sur tout le corps de la mariée. Celle-ci se retourna et pointa l'arme vers un Nérée totalement immobile, à l'instar de tous ses fidèles.
– Je reconnaîtrais ta voix entre toutes, maugréa le roi entre ses dents. Amphitrite !
L'intéressée retira son voile.
– J'ai levé ton sort, Nérée ! J'ai récupéré tous mes pouvoirs et je suis à présent en possession du trident. Je suis plus forte qu'à l'époque. Veux-tu toujours m'affronter ?
Nérée répondit par un léger grognement. Même s'il l'avait voulu, il ne pouvait pas bouger d'un pouce.
– Et toi, félon ! Qui es-tu ? Retire ton casque !
Lorsque le visage d'Élinor apparut, son père s'exclama un « Je suis ruiné ! » puis s'évanouit comme une loque. Ses sœurs et sa mère, au contraire, la prirent dans leurs bras, heureuses de la savoir saine et sauve. Elles avaient craint le pire en découvrant quelqu'un d'autre sous le voile de la mariée.
– Allez-y, Amphitrite, lui dit Élinor. Il est temps que tout le monde connaisse la vérité sur Nérée et sur sa prétendue nature divine !
La sorcière brandit le trident et laissa exploser son sortilège mémoriel.
– Peuple de l'Océan, j'aimerais vous partager mes souvenirs, pour que vous sachiez qui est vraiment celui que vous appelez roi-dieu !
Une infinité de fils colorés s'échappèrent du trident, tels des courants d'eau chaude et apaisante. Chaque fois qu'on en touchait un, on voyait un passé longtemps oublié. Les mensonges de Nérée furent ainsi découverts et l'Histoire se répandit dans tout le royaume et au-delà.
Depuis son temple, dans la forêt de Troisiorme, Calypso recueillit les souvenirs offerts par sa mère et pleura longtemps. Son cœur rongé par le chagrin et la culpabilité ne demandait qu'à se repentir. Au fil des millénaires, elle avait oublié une partie de son passé, jusqu'à occulter qu'avant de se faire appeler déesse de la Terre par les humains qu'elle terrorisait, il était une humble néréide, fille et apprentie de la grande sorcière Amphitrite. Comme il était facile de punir autrui sans faire preuve d'humilité ou de compassion. Désormais, elle ne referait plus les mêmes erreurs.
– Ce que le trident fait, seul le trident peut le défaire ! Que les cœurs impurs soient paralysés !
Une voix forte, convaincue et éraillée. Une voix bien différente de celle d'Élinor. Le trident brilla de mille éclats avant de répandre sa lumière sur tout le corps de la mariée. Celle-ci se retourna et pointa l'arme vers un Nérée totalement immobile, à l'instar de tous ses fidèles.
– Je reconnaîtrais ta voix entre toutes, maugréa le roi entre ses dents. Amphitrite !
L'intéressée retira son voile.
– J'ai levé ton sort, Nérée ! J'ai récupéré tous mes pouvoirs et je suis à présent en possession du trident. Je suis plus forte qu'à l'époque. Veux-tu toujours m'affronter ?
Nérée répondit par un léger grognement. Même s'il l'avait voulu, il ne pouvait pas bouger d'un pouce.
– Et toi, félon ! Qui es-tu ? Retire ton casque !
Lorsque le visage d'Élinor apparut, son père s'exclama un « Je suis ruiné ! » puis s'évanouit comme une loque. Ses sœurs et sa mère, au contraire, la prirent dans leurs bras, heureuses de la savoir saine et sauve. Elles avaient craint le pire en découvrant quelqu'un d'autre sous le voile de la mariée.
– Allez-y, Amphitrite, lui dit Élinor. Il est temps que tout le monde connaisse la vérité sur Nérée et sur sa prétendue nature divine !
La sorcière brandit le trident et laissa exploser son sortilège mémoriel.
– Peuple de l'Océan, j'aimerais vous partager mes souvenirs, pour que vous sachiez qui est vraiment celui que vous appelez roi-dieu !
Une infinité de fils colorés s'échappèrent du trident, tels des courants d'eau chaude et apaisante. Chaque fois qu'on en touchait un, on voyait un passé longtemps oublié. Les mensonges de Nérée furent ainsi découverts et l'Histoire se répandit dans tout le royaume et au-delà.
Depuis son temple, dans la forêt de Troisiorme, Calypso recueillit les souvenirs offerts par sa mère et pleura longtemps. Son cœur rongé par le chagrin et la culpabilité ne demandait qu'à se repentir. Au fil des millénaires, elle avait oublié une partie de son passé, jusqu'à occulter qu'avant de se faire appeler déesse de la Terre par les humains qu'elle terrorisait, il était une humble néréide, fille et apprentie de la grande sorcière Amphitrite. Comme il était facile de punir autrui sans faire preuve d'humilité ou de compassion. Désormais, elle ne referait plus les mêmes erreurs.
Le vœu d'Élinor
Lorsque le sortilège mémoriel prit fin, la sorcière s'adressa à Élinor :
– À présent, et si j'exauçais ton vœu le plus cher ?
– Vous allez faire de moi une humaine ? demanda-t-elle, la figure peinte d'espoir.
– Mieux que cela, mon enfant. Par mes nouveaux pouvoirs, je t'accorde la magie de te transformer en humaine comme en oiseau. Mais attention, la magie a toujours un prix lorsque l'on n'est pas immortel. N'en abuse pas si tu ne veux pas te mettre en danger.
La jeune sirène vit son poignet se parer d'un bracelet doré qu'elle ne quitterait jamais.
– Et les monstres marins ? demanda Téthys.
Elle n'avait aucune envie que sa fille finisse dans l'estomac d'un léviathan au cours de ses pérégrinations.
– Je peux arranger cela, déclara malicieusement Amphitrite en brandissant à nouveau le trident. Je condamne Nérée et tous ses fidèles à l'emprisonnement éternel dans le plus profond des gouffres abyssaux.
Toujours paralysé mais conscient de tout ce qui se passait autour de lui, le faux dieu bouillonnait intérieurement.
Une fois le roi et ses sbires neutralisés, y compris les monstres marins, Amphitrite fit rétrécir le trident et le brisa en cinq morceaux : les trois dents, le manche et l'embout. Tous les cinq tenaient dans la paume de sa main.
– C'est trop de pouvoirs pour une seule personne, déclara la néréide en tendant les fragments à Élinor. Je fais de toi un porteuse de relique. Choisis celle que tu veux.
La jeune sirène passa la main au-dessus des cinq fragments et choisit celui de l'embout.
– Le dernier, observa Amphitrite d'une mine satisfaite. Celui du bas. Le plus humble mais aussi le plus solide car il supporte le poids du reste du trident. Très bon choix. Pour ma part, je prends le fragment du manche. Je te charge donc de porter les trois dents aux divinités de la Terre, du Ciel et du Feu, même si ce dernier est encore endormi. Ce sont les clefs de la prison de Nérée, alors ne les perds pas !
Ainsi parla Amphitrite, élue à la majorité par le peuple sous-marin nouvelle déesse de l'Océan (même si elle reconnut que ce titre était très pompeux).
C'est ainsi qu'Élinor l'intrépide quitta l'Océan, non sans avoir dit au revoir à sa famille, et partit en mission. Ce voyage, sans doute le plus merveilleux de toute sa vie, serait conté dans une autre histoire.
– À présent, et si j'exauçais ton vœu le plus cher ?
– Vous allez faire de moi une humaine ? demanda-t-elle, la figure peinte d'espoir.
– Mieux que cela, mon enfant. Par mes nouveaux pouvoirs, je t'accorde la magie de te transformer en humaine comme en oiseau. Mais attention, la magie a toujours un prix lorsque l'on n'est pas immortel. N'en abuse pas si tu ne veux pas te mettre en danger.
La jeune sirène vit son poignet se parer d'un bracelet doré qu'elle ne quitterait jamais.
– Et les monstres marins ? demanda Téthys.
Elle n'avait aucune envie que sa fille finisse dans l'estomac d'un léviathan au cours de ses pérégrinations.
– Je peux arranger cela, déclara malicieusement Amphitrite en brandissant à nouveau le trident. Je condamne Nérée et tous ses fidèles à l'emprisonnement éternel dans le plus profond des gouffres abyssaux.
Toujours paralysé mais conscient de tout ce qui se passait autour de lui, le faux dieu bouillonnait intérieurement.
Une fois le roi et ses sbires neutralisés, y compris les monstres marins, Amphitrite fit rétrécir le trident et le brisa en cinq morceaux : les trois dents, le manche et l'embout. Tous les cinq tenaient dans la paume de sa main.
– C'est trop de pouvoirs pour une seule personne, déclara la néréide en tendant les fragments à Élinor. Je fais de toi un porteuse de relique. Choisis celle que tu veux.
La jeune sirène passa la main au-dessus des cinq fragments et choisit celui de l'embout.
– Le dernier, observa Amphitrite d'une mine satisfaite. Celui du bas. Le plus humble mais aussi le plus solide car il supporte le poids du reste du trident. Très bon choix. Pour ma part, je prends le fragment du manche. Je te charge donc de porter les trois dents aux divinités de la Terre, du Ciel et du Feu, même si ce dernier est encore endormi. Ce sont les clefs de la prison de Nérée, alors ne les perds pas !
Ainsi parla Amphitrite, élue à la majorité par le peuple sous-marin nouvelle déesse de l'Océan (même si elle reconnut que ce titre était très pompeux).
C'est ainsi qu'Élinor l'intrépide quitta l'Océan, non sans avoir dit au revoir à sa famille, et partit en mission. Ce voyage, sans doute le plus merveilleux de toute sa vie, serait conté dans une autre histoire.